Décomposez !
Aurore
Quand j’étais enfant et adolescente, j’ai eu la chance de pouvoir prendre des cours de piano pendant plusieurs années et j’ai pu atteindre un niveau assez bon pour pouvoir me faire plaisir facilement en jouant n’importe quel morceau. Je ne peux compter le nombre de fois où, durant ces années, j’ai pu me réfugier dans sa musicalité lors de moments difficiles.
Puis, avec les études et les priorités qui évoluent, j’y ai consacré de moins en moins de temps, jusqu’à ne plus en jouer du tout pendant très longtemps. Malgré ça, mon piano m’a quasiment toujours suivi tout au long de mes nombreux déménagements (et ce, même jusqu’en Espagne !).
J’ai tenté à plusieurs reprises de m’y remettre mais j’ai vite lâché, découragée par la frustration de devoir réapprendre des morceaux que je connaissais sur le bout des doigts, et de voir que je n’avais plus le niveau et l’aisance que j’avais eus…
J’ai pensé que le thème de ce mois-ci était un bon prétexte pour m’y remettre. Pas d’objectif ! Ne pas vouloir réussir à jouer un morceau en entier. Ne pas vouloir réussir à jouer correctement ou vite. Ne pas vouloir réussir à vibrer à nouveau comme je vibrais avant lorsque mes doigts survolaient les touches. Juste décomposer. Tout faire petit à petit, en ayant une direction, mais sans espérer une finalité particulière.
Tout d’abord réussir à m’asseoir devant mon piano quelques instants et juste le regarder.
Puis le jour suivant, réussir à enlever le tas de poussière bien installé.
Le jour d’après, le brancher et même réussir à l’allumer pour entendre le son qu’il fait (sans jouer quoi que ce soit, juste tapoter sur les touches).
Et un jour, l’idée d’apprendre la première mesure de ce morceau si beau dont on m’a envoyé les partitions il n’y a pas si longtemps pointe le bout de son nez.
Apprendre la première mesure seulement, pas plus.
La jouer et la rejouer, rien qu’elle, pendant plusieurs jours. Ne pas vouloir aller trop vite à la suivante. Juste la jouer elle, jusqu’à ce que mes doigts l’intègrent complètement et que mon corps tout entier puisse retoucher le plaisir de jouer du piano.
Puis vient enfin le jour où je me sens prête pour la deuxième mesure. Je la déchiffre, je l’apprends, je la répète. Encore et toujours cette même deuxième mesure. Une minute par-ci, deux minutes par-là. Pas plus.
Et arrive le moment propice où je me dis que je pourrais peut-être enchainer ces deux mesures l’une après l’autre pour entrevoir la musicalité qu’elles ont ensemble. Et les répéter en boucle jusqu’à ce qu’elles soient totalement unies l’une à l’autre.
Les jours passent, et c’est rigolo de constater que « l’effort » du premier jour, cette loooongue minute à rester assise devant ce piano sans pouvoir passer à l’action, est finalement devenu quelque chose de facile : je passe devant la pièce du piano, « tiens, si je m’arrêtais 30 secondes et que je jouais ? », et hop je me lance. Pas tous les jours, juste de temps en temps. Pas pendant des heures non plus, juste de quoi rassasier mon envie d’entendre le son de mon piano qui m’a bercé depuis tant d’années et m’a tant apporté.
Après un mois à décomposer, voici en vidéo ce que j’ai pu apprendre de ce nouveau morceau (la première page des 4 qui le composent). C’est loin du niveau que j’avais, ce n’est pas franchement mélodique, c’est extrêmement loin de la vitesse demandée par le compositeur, je ne vibre pas encore l’émotion du morceau… Je pourrais me critiquer pendant des heures évidemment. Mais au final, je préfère me raccrocher à la seule chose qui a de la valeur à mes yeux aujourd’hui : j’ai repris le piano.
Et je pleure en écrivant cette phrase.
Je crois que ça me rend vraiment heureuse.
Je ne sais pas si j’arriverai un jour à la fin de cette partition, je ne sais pas si j’arriverai à continuer à jouer comme je l’ai fait durant ce mois-ci, mais une chose est sure : en décomposant, on arrive à faire de belles choses <3
Jean-Emmanuel
Dans la continuité du défi du mois n°14, le thème est resté « les caméras ».
Cela ne fait pas qu’un mois que je décompose. Cela remonte au Covid. Je me revois dans le jardin à essayer de me filmer à cœur ouvert et jeter ensuite les uns après les autres tous mes enregistrements. A l’époque, j’avais un objectif : publier une vidéo où j’improvise pendant une dizaine de minutes sans me soucier du jugement des autres et sans aucun montage.
Les mois ont passé, les années ont passé, et je n’avançais toujours pas. Pire, je régressais. J’étais bloqué.
L’humilité m’a touché quand j’ai compris qu’un petit pas vers moi, aussi infime soit-il, valait toujours mieux que l’immobilisme.
Cette démarche est terrible parce qu’elle demande une parfaite honnêteté envers soi-même. Il ne s’agit plus de regarder où je veux être, mais de regarder où je suis aujourd’hui. C’était le seul moyen de créer avec amour le premier petit pas possible. Puis le suivant, puis le suivant, puis le suivant, jusqu’à aujourd’hui, où enfin je peux me libérer de ce poids.
Objectif atteint ?
Fuck les objectifs !
Vive les petits pas chaque jour vers soi.