J’ai le droit d’aller mal

Consigne : lisez le texte normalement dans votre tête, puis repartez à zéro en lisant seulement les titres, lentement, A HAUTE VOIX.

 Qui sait, ça pourrait vous parler.

Je voulais être heureux.

C’était un de mes mantras de vie. Avant mon diabète, vous m’auriez certainement rencontré dans une période de ma vie où être mal n’était même pas autorisé dans ma plus grande intimité : ma grotte, refuge ultime du mâle blessé. Loin de tout, loin de tous, je luttais avec moi-même pour aller bien.

Mon corps est un sacré joueur de poker émotionnel. Toujours le petit sourire qui va bien et une gentillesse rassurante pour les amis comme pour la famille. Des hauts et des bas, comme tout le monde, et j’étais même capable de dire : je ne vais pas bien.

Sans jamais avoir le droit d'aller mal.

Mon corps exprimait toujours sa souffrance, non pas à la hauteur de ce qu’elle était, mais à la hauteur de ce que je croyais les gens en capacité d’accueillir. Autant vous dire tout de suite, il m’était impossible de pleurer tout seul. Alors j’attendais d’eux qu’ils me sauvent. Je leur donnais même inconsciemment le mauvais rôle, quelquefois. Après tout, s’ils étaient vraiment là pour moi, ils verraient à quel point je souffre au fond.

Pourquoi ne percevaient-ils donc jamais la profondeur de mes montagnes russes émotionnelles ? Ils croyaient que je jouais au toboggan pour enfant pendant que mon corps mourrait à petit feu, coincé dans le Big Shot de Las Vegas.

Sauf que ce n’était pas « ils » le problème, c’était moi.

Des années passèrent

Un événement récent, plus dramatique que tragique, fit ressurgir en moi toutes les douleurs émotionnelles enfouies et les transformèrent en douleurs physiques bien réelles. Et depuis, elles me collent à la peau comme les tentacules d’une pieuvre. Ces douleurs n’ont rien de musculaires ou d’articulaires. Elles font aussi mal qu’un coup de couteau sans jamais endommager le moindre organe.

Changement de paradigme. Il ne s’agissait plus de vouloir égoïstement être heureux tout le temps, mais de permettre au moins à mon corps de survivre et de s’apaiser jusqu’à ce que la tempête migre vers d’autres horizons.

Je connaissais ma solution HUNKAAR. Vivre ce qui se cachait derrière les angoisses et y donner du sens par rapport à l’événement déclencheur. Toutefois, malgré toute ma bonne volonté, il me fut impossible de partir à la rencontre de ces profondes blessures. Des parties de moi, protectrices de ma sanité, les privèrent de la parole.

Pourquoi est-ce que ça ne fonctionnait pas ?

J’avais quelques hypothèses. La plus vraisemblable étant que ces parties de moi en souffrance étaient considérées comme trop dangereuses par mes parties protectrices. Mieux valait les angoisses qu’elles.

Je fermai les yeux pour mieux me recentrer et je plongeai dans cette concentration que je connaissais si bien désormais. Les valseuses de Stéphane Grappelli guidèrent ce soir encore ma mythopoeïa hypnotique.

Accompagné de tout l’amour de Namilélé je sentis mon calvaire remonter par le ventre et serrer mes côtes comme pour m’empêcher de respirer. Instinctivement, pour combattre cette oppression, je respirai encore plus fort. Etrangement, quand j’inspirai profondément, mon corps s’apaisait un instant. Puis les sensations reprirent leur ascension à un rythme encore plus effréné. J’eus besoin d’une pause.

C’est vicieux, une angoisse. Ça te fait mal juste ce qu’il faut pour t’arracher toute envie de sourire, sans jamais t’achever vraiment.

Quelques minutes plus tard, je me décidai enfin à plonger au cœur de mes tourments.

Je levai alors le voile sur ma réalité intérieure et j’aperçus toutes ces mémoires de douleurs dont l’angoisse me protégeait. Je plongeai à leur rencontre presque naïvement, convaincu que les accueillir à bras ouverts ferait disparaître comme par enchantement tous mes problèmes. Sans trop souffrir, si possible.

Soudain, je réentendis la voix sadique de cet homme alors que je marchais en direction de la boulangerie : « Sal blanc ! Casses-toi d’ici ou t’es mort. ATTAQUE ! » lança-t-il en pointant son index dans ma direction. Et le Pittbull marchant à ses côtés me fonça droit dessus en montrant les crocs. Le cœur battant à deux mille à l’heure je me réfugiai maladroitement en hauteur au sommet d’un buisson. Le chien était beaucoup trop rapide. Je devais avoir une douzaine d’années. Et je venais de me faire mordre en allant acheter le pain. Heureusement, le maître rappela immédiatement le molosse et s’en alla, me laissant rentrer chez moi avec une plaie ouverte sur la fesse, en pleurs et terrorisé. J’aurais certainement pu mourir ce jour-là si le chien l’avait souhaité. Ce souvenir n’est qu’un marqueur d’une blessure de mon âme gravée dans mon corps : l’humiliation.

Une fraction de seconde plus tard, je me sentis propulsé en dehors de la transe par pur instinct de survie, essoufflé comme si j’avais vraiment couru un sprint. Je ne pus qu’entrevoir la terreur de ce petit Jean-Emmanuel sans m’y connecter vraiment.

Bilan des courses :

Mon inconscient me coupait de mes souffrances pour que j'aille bien.

...

Mais ma douleur enfouie était devenue trop grande pour rester silencieuse.

Le constat était amer. J’amnésiais une fois de plus mes souffrances d’hier parce que des parties de moi avaient peur que j’en souffre trop aujourd’hui. Et les angoisses me faisaient toujours autant souffrir dans le présent.

Que pouvais-je mettre en place pour me sortir de ce pétrin ?

A l’intérieur de moi, j’entendis alors une voix réconfortante que je connaissais bien :

Tout va s’arranger, ne t’inquiètes pas. Je sais que ça fait mal les angoisses, mais ça va passer.

Et si on mangeait une pizza ?

Ah, j’ai une meilleure idée, et si on passait la soirée à jouer à TFT plutôt ?

Au pire, si ça ne passe pas d’ici 2h du matin, on se défoncera le cerveau devant une bonne série jusqu’à tomber de fatigue dans les bras de Morphée.

Il est le guérisseur de tous les maux. Ça ira mieux demain. Ou après-demain. Et hop, finito les angoisses.

Je tentai alors l’enfouissement émotionnel pendant un temps, et certaines angoisses disparurent. Mais il y eut aussi des effets secondaires indésirables.

Quand je fuyais ma douleur, mon bonheur disparaissait aussi.

Les deux jouaient les inséparables. On aurait dit Bonnie & Clyde. La vérité, c’est que je n’avais pas envie de finir comme eux au beau milieu d’une embuscade. Mes petits bonheurs du quotidien me manquaient. Et je compris qu’ils ne pouvaient continuer à exister pleinement que si j’acceptais la saison des angoisses comme un chemin nécessaire.

Pour être vraiment heureux, j'ai le droit d'aller mal.

Les sanglots longs
Des violons
De mon passé
Blessent mon cœur
D’une langueur monotone.

Je ressens l’envie sincère d’aller dans la direction de soulager ce petit Jean-Emmanuel de tous ses poids. Pas question d’en faire une bonne résolution. Cela prendra le temps nécessaire. Je serai patient. J’irai jusqu’au bout, à mon rythme.

Encore une histoire d'équilibre.

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21 réflexions au sujet de “J’ai le droit d’aller mal”

  1. Encore un beau témoignage sincère et sensible comme tu les fais si bien… et quelle vérité dans ce titre à contre courant.
    J’ai le droit de vivre, j’ai le droit d’être heureux… et celui qui devrait être le commencement de tout, j’ai le droit d’aller mal.
    Merci.

  2. Comme toujours un texte écrit avec les tripes, avec le coeur et qui touche directement le mien , merci Jean Emmanuel ! Toujours très intéressant à lire ! Avec une sensibilité qu’on ressens même à distance !

  3. Courageux témoignage. Et très bien écrit J.Emmanuel. Je vous souhaite courage sur ce chemin qui va son rythme en se délestant petit à petit comme un oignon des enveloppes douloureuse.
    En souvenir d’un super we de formation à Paris qui m’a ouvert les portes de l’hypnose. Enfin une porte. C’était joyeux. Une chouette équipe de 2 jours. Nathalie

    • Mon oignon est gros, mais j’arrive à le voir beau à mesure que je me rapproche de son coeur et c’est bien-là le principal. J’ai un mantra : « je ne suis pas parfait, mais je suis sur le chemin de mon bonheur ».

      Et merci de conserver aussi précieusement ce souvenir de Paris.

  4. Quel texte émouvant ! empreint de vérité et de sincérité et de surcroit bien écrit, Je me suis promis de participer à une formation sur Toulouse. Depuis la découverte de « la voix de l’Inconscient » je dialogue tous les jours, avec bonheur, avec MON Inconscient. Merci Jean Emmanuel pour ce joli témoignage.

  5. Il y a un drôle de malentendu dans notre civilisation qui nous fait croire qu’en étouffant, en refoulant, en simulant le résultat, on devrait vivre le résultat. Mais le processus est à l’inverse du résultat.

    Plonger dans l’angoisse pour être heureux, quelle révolution 😂

    • Je crois à la nécessité d’être sincère avec soi-même pour être heureux. Je ne suis pas un surhomme, donc mes moments de faiblesse sont aussi précieux que les autres.

      Ce sont aussi grâce à eux que l’envie d’écrire me vient, quelquefois.

  6. Merci pour ce texte vrai et plein de sensibilité.. On s’autorise peu à aller mal dans notre société moralisatrice, alors que tu le dis très bien, je pense que c’est tout simplement une question d’équilibre..
    Belle et heureuse année 2022.

  7. Merci pour ce témoignage sincère. J’aime lire que ton inconscient te coupe de tes souffrances pour aller bien : la notion d’intention positive et de bénéfice secondaire. Qui donne justement tout son sens quand tu souffres parce que tu ne vas pas bien. C’est la petite clochette qui dit, ça ne va pas dedans, j’ai besoin d’un coup de main, help! Je te souhaite de belles rencontre avec ton enfant intérieur blessé. Et beaucoup d’amour dans cette blessure d’humiliation.

    • Merci beaucoup Pascaline. J’ai la chance d’être bien entouré dans cette exploration, mais il s’agit effectivement d’une de mes plus grosse blessure à soigner. Je n’aurais fini ni demain ni après-demain, mais je pourrais au moins dire que j’ai déjà commencé.

  8. Jean Emmanuel, je te felicite du courage que tu déploies pour te libérer de tes démons, si bien enfouis et protégés par , tu le sais, ton meilleur ami : ton inconscient ! Je te remercie pour ta franchise envers nous, qui avons eu la chance de te rencontrer lors d’une formation, qui avons choisi de te lire, qui te connaissons de près ou de loin…. Surtout, ne lâche rien, j’ai 60 ans et je continue de travailler après 40 années et plus de travail personnel , de techniques diverses et variées à liberer mon esprit et mon corps des souffrances du passé. Pratricienne en hypnose, je n’aies moi non plus , pas honte de partager avec mes consultants mon cheminement , parfois avec l’aide d’autres therapeutes.
    Je me souviens d’une dame qui m’a dit un jour « alors tu es humaine toi aussi » ! oui je suis humaine, et je souffre quand je perds un proche ou quand les stigmates du passé viennent me titiller et je choisis de me mettre en retrait total en cessant mon activité quelques temps car je sais que je ne peux aider personne dans cette période – Je suis de tout coeur avec toi – je te souhaite force, courage et obstination ! bien à toi – frederique

    • Merci INFINIMENT pour ce fabuleux message.
      Je trouve très courageux d’être capable de se mettre en pause quand c’est vraiment nécessaire. J’essaie d’emprunter ce chemin là également et je sais à quel point il est difficile quand des pressions extérieures s’exercent constamment (crédit à payer, famille à nourrir etc.).

      Merci merci merci.

  9. Merci Jean-Emmanuel…

    Beau voyage qui n’a de cesse de se vivre… si possible en conscience avec son inconscient…et à l’écoute de son corps.

    C’est un précieux chemin qui , personnellement, m’a menée à l’acceptation de passer d’états de mes enfers à mes paradis intérieurs… et d’apprendre à voguer de plus en plus aisément d’un état à l’autre… jusqu’à ,un jour, toucher la quiétude … pour recontacter la souffrance… puis la joie… et, juste, d’être à leur écoute en conscience et bienveillance…à leurs rythmes, en les laissant exister…et les laissant passer….et à chaque fois que ces rencontres se font, je me sens par la suite, plus…grande, vaste et présente… et la vie se vit différemment…car je peux ,alors, reconnaitre son cadeau de chaque instant …quelque soit l’état touché et reconnu…

    Voilà, ton message est tout simplement beau et inspirant, je me suis sentie touchée … et m’a donnée envie de partager combien ce cheminement demande certes du courage, comme tu le décris si bien, mais qu’il en vaut vraiment la peine selon ma perception.

    Merci aussi pour cette belle aventure hunkaarienne que tu as su nous partager avec brio, grandeur et intelligence lors de la formation .

    De tout coeur,

    Claire

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